
Les ogres d’aujourd’hui peuvent avoir un joli sourire et des cheveux d’ange. La preuve par Mrs. Smith, aussi sympa et décontractée dans la vie qu’affamée et ambitieuse sur une piste de skicross, ce sport où quatre casse-cous à l’audace maîtrisée s’élancent en même temps sur un toboggan traître et bosselé. Ogre, car la Vaudoise de 20 ans vient de gagner trois courses de Coupe du monde (Nakiska/Can, Telluride/ USA, Val Thorens/Fra) en treize jours, souveraine, devant toute l’élite planétaire.
Une jeune ogresse peut même avoir la grippe. C’est ainsi, très enrhumée, qu’on rencontre Fanny fin décembre dans un tea-room de Villars- sur-Ollon (VD). Elle a passé son enfance tout près, à Gryon. C’est dans ce ski-club qu’elle a appris à tenir sur des lattes, avec un moniteur écossais qui s’amusait à chaque entraînement, exactement comme elle aime.
«SE SENTIR LIBRE»
Elle sirote son thé crème. La maladie la rend encore plus gracile, une sorte de Blanche-Neige avec du caractère et qui, rentrée chez elle juste avant Noël, n’a pas encore eu le temps de fêter dignement ses succès. «C’est la honte, mais on va se rattraper…» assuret- elle. Elle vit très bien ses bonheurs présents. Sa réussite est un mélange de raide discipline et d’un sens du plaisir très développé. C’est ainsi que fonctionne son entraîneur personnel, l’ancien champion du monde Guillaume Nantermod. «Il n’a rien de carré, sourit Fanny. Avec lui, la routine n’existe pas et cela me convient bien.» La preuve? Il y a quelques jours, perdus dans un hôtel canadien avec quelques heures devant eux, ils ont fait comme d’habitude en pareil cas: «Alors que les autres s’ennuyaient à l’hôtel, nous avons sauté dans une voiture, avalé quelques heures de route et nous nous sommes éclatés en freeride, juste pour le fun. On aime que cela bouge, se sentir libre.»
Le fun, c’est une des raisons pour lesquelles cette skieuse qui avait suivi la filière de Swiss Ski jusqu’au collège sport-études de Brigue a tout plaqué. Et choisi le skicross. «J’ai fait ma première course à 14 ans et je suis tombée amoureuse de ce sport. C’est l’activité parfaite pour moi, qui adore le ski pour son côté bagarreur. Depuis toute petite, j’aime faire la folle sur une piste, tenter des sauts. Le skicross est beaucoup plus amusant et dynamique que le ski alpin.»
«FAIS-LE À FOND!»
Pour qu’elle puisse ainsi s’éclater, il a fallu que ses parents jouent le jeu, avec pas mal de confiance en la vie. D’origine américaine, son père dirige l’école de parapente de Villars et sa mère est institutrice. Enthousiastes, ils ont accepté que leur fille stoppe sa scolarité et se lance. «Ma famille est comme ça: mon papa n’a jamais fait d’études et il est très heureux. Mes parents veulent juste que leurs enfants puissent s’exprimer là où ils sont les meilleurs. «Fais ce que tu veux mais fais-le à fond!», voilà leur philosophie.»
Or ils ne sont pas milliardaires. C’est grâce à l’aide d’un groupe de donateurs qu’ils ont pu mettre au point une petite structure, un très vivant «Team Smith» qui, outre Nantermod, comprend les préparateurs physiques Majda et Jean-Sébastien Scharl, qui se sont occupés de Stéphane Lambiel, ou Georges-André Carrel, de l’Université de Lausanne. Souple, cette organisation colle mieux à Fanny que le «tip-top en ordre» de Swiss Ski.
«Il était exclu que je revienne pour finir dixième!» Fanny Smith
Ce mental positif l’a aidée à surmonter le premier coup dur de sa carrière: elle s’est déchiré les ligaments croisés en décembre 2011. Saison terminée. Aujourd’hui, elle pense avoir puisé de l’énergie dans cette épreuve: «J’arrive mieux à me mettre dans une bulle. Avant, j’étais un peu ailleurs. Mentalement je suis prête: il était exclu que je revienne pour finir dixième! Je voulais retrouver tout de suite le sommet.» Cet hiver, elle a vite su que tout irait bien. «J’ai pris une énorme chute lors des championnats canadiens et mon genou a tenu.» Ce jourlà, à sa propre surprise, elle a aussi constaté qu’elle était dans le coup. «J’avais de mauvaises sensations et j’ai pourtant gagné les qualifications. Quand Guillaume me l’a annoncé, je croyais que c’était une blague…»
Ensuite, tout s’est enchaîné. Elle est partie à chaque fois en tête de sa série (en skicross, on dit «run») et ne l’a plus quittée. «Foncer pendant une minute avec trois filles derrière toi qui ne pensent qu’à t’arracher, c’est long...» Mais plus question de se laisser bousculer. Elle n’a d’ailleurs pas hésité à dire son mot à l’adversaire qui l’avait sortie de la piste l’an dernier et avait provoqué sa blessure. Ainsi qu’à une autre qui a mis le coude pour la gêner. Elle le lui a dit en face: «Toi, fais vraiment attention! Je n’hésiterai pas à déposer protêt!» Cela dit, elle promet que tout le monde s’amuse beaucoup dès la course terminée. Elle, elle aime côtoyer des filles d’expérience et empreintes de fair-play, comme la Française Ophélie David. «Elle est géniale, elle m’a apporté la base de ce sport: un ski fluide, où l’on peut dépasser sans pousser l’autre, sans frotter.»
Déjà clignote dans son agenda le joli nom de Sotchi, la ville des Jeux 2014. Elle ira pour gagner. La princesse a une faim d’ogre.
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